BI&T interroge pour ses lecteurs ceux qui font l’actualité du social. Aujourd’hui, nous avons posé quatre questions à Bruno Serizay, fondateur bien connu du cabinet Capstan.
1° La Cour des Comptes vient de publier un rapport pessimiste sur l’avenir de l’AGIRC et de l’ARRCO. Elle plaide pour une dégradation du taux de remplacement des retraites. Etes-vous surpris par ces propositions?
La seule surprise est de constater qu’une nouvelle étude officielle minimise l’ampleur du déficit programmé de la retraite complémentaire, en raison de l’utilisation des paramètres économiques extrêmement optimistes (croissance surévaluée, chômage sous-évalué).
La dégradation du taux de remplacement des retraites n’est une découverte que pour la Cour des comptes ; elle est une réalité pour les salariés, les retraités et les entreprises depuis au moins 10 ans.
Dans la mesure où, économiquement, il n’est pas envisageable d’augmenter le financement des régimes ARRCO / AGIRC – sans accentuer la décompétitivité de « l’entreprise France » – l’obligation d’équilibrer le montant des pensions versées au montant des cotisations encaissées va imposer une accélération de la dégradation du taux de remplacement des retraites ; les négociateurs ont trois leviers qu’ils peuvent éventuellement combiner :
– L’augmentation de la valeur acquisitive des points et le gel (voire le rabotage) de la valeur liquidative des points ;
– Le report de l’âge de liquidation des pensions sans abattement ;
– L’évolution des droits familiaux (majoration pour enfant, réversion).
Faute de parvenir à un accord, les mécanismes prévus par les accords de 1947 et 1961 imposeront la diminution des pensions liquidées.
2° Quelles sont les pistes de demain pour “sauver” la retraite des cadres?
Sauver la retraite des cadres, c’est sauver le pouvoir d’achat des cadres à la retraite. S’il n’est évidemment pas envisagé – ni au demeurant rationnellement envisageable – de contester la légitimité du régime AGIRC, ce ne sont pas les ressources décroissantes qu’il procurera à l’avenir aux retraités qui sauvegarderont le pouvoir d’achat des cadres retraités.
Les pouvoirs publics, les partenaires sociaux (patronat et syndicats) doivent prendre en compte cette situation et favoriser l’émergence et le développement d’une épargne (professionnelle) en vue de la retraite.
Puisque les régimes actuels de retraite supplémentaire sont à bout de souffle – les régimes « chapeaux » sont présumés non vertueux à tort ou à raison et les régimes à cotisations définies sont économiquement inadaptés et juridiquement compliqués à mettre en œuvre grâce à l’ardeur destructrice de la Sécurité sociale depuis 10 ans – il faut reconcevoir les régimes de retraites supplémentaire.
Il faut considérer que la retraite supplémentaire c’est une rémunération différée et admettre que cette rémunération différée a la même nature juridique que la rémunération immédiate ; en conséquence ; il faut accepter de la soumettre, lorsque la rémunération différée est versée, aux charges sociales finançant la solidarité nationale ; en revanche, et de façon conforme avec les principes constitutionnels, il faut consacrer l’idée que les mécanismes assurantiels de protection durable de cette rémunération différée (le contrat d’assurance conclu par l’entreprise pour lui permettre de transférer, dès son octroi aux salariés, la valeur économique de la rémunération différée jusqu’à son versement, c’est-à-dire jusqu’à la liquidation de la retraite, le contrat garantissant à partir de la liquidation le paiement sous forme de rente de la rémunération différée et donc le risque viager) ne peuvent susciter aucune charge sociale ou taxe fiscale puisqu’ils ne génèrent aucun revenu mis à la disposition des salariés en activité tant que la rémunération différée n’est pas liquidée.
3° Les Français vous semblent-ils prêts à accepter un développement de la retraite des cadres?
Pour les français, la situation est totalement incompréhensible :
– Ils ont compris et mesuré le caractère inéluctable de la baisse des pensions traditionnelles et ont des difficultés à comprendre les atermoiements des corps intermédiaires et étatiques à communiquer clairement sur cette évidence.
– Ils considèrent à juste titre que les mécanismes d’épargne professionnelle en vue de la retraite sont trop sophistiqués, trop nombreux et pas assez attractifs.
La question n’est donc pas de savoir s’ils sont prêts à accepter « un développement de la retraite des cadres » alors qu’ils craignent plutôt sa régression. La question est plutôt de déterminer l’échéance à laquelle les pouvoirs publics prendront conscience de la nécessité de renoncer aux mesures d’inhibition de l’épargne de retraite (multiplication de conditions absurdes) mues par un égalitarisme mortifère pour promouvoir enfin un mécanisme simple et stable. Lorsque cette prise de conscience sera intervenue et lorsque les réformes utiles seront faites, les entreprises comme les salariés adhéreront sans réserve à la nécessité de constituer une épargne (professionnelle) de retraite (comme nos prédécesseurs ont adhéré, puis développé, puis 50 ans plus tard, généralisé la retraite complémentaire).
4° Pensez-vous que la loi Macron constitue une opportunité pour évoquer le sujet?
Le Ministre de l’Economie a relancé la polémique sur les retraites chapeau. Qu’il en profite pour rendre positive et créatrice cette polémique. Qu’il favorise tout amendement à son projet de loi pour la croissance et l’activité complétant les actuels articles 34 à 37 des mesures utiles à l’émergence d’un statut simple et pérenne pour la rémunération différée de retraite.
Au plan formel, les adaptations légales et réglementaires sont simples à concevoir et à mettre en œuvre.
Au plan politique, l’émergence de ce statut, favorable au développement d’une épargne de retraite excluant tout privilège mais écartant toute entrave, marquerait la disparition des régimes actuels considérés comme impurs au profit de mécanismes parfaitement transparents set sécurisés. Chacun y trouverait son compte, à commencer par les futurs retraités.